Quelle est la valeur culturelle d’un objet usuel? De quelle manière une chaise archétypale, un bague en diamants ou un verre s’immisce dans notre mémoire? Plus encore, comment ces formes affectent-elles notre perspective sur le monde qui nous entoure? Toutes ces questions traversent le travail du designer Guillaume Sasseville.  Il en résulte un portfolio d’une extraordinaire finesse, dont plusieurs pièces ont été choisies par des musées partout dans le monde. Maintes fois primé, le designer derrière notre collection Mile nous fait visiter son studio montréalais et se confie, entre autres, sur les scies à chaîne, les illusions et l’humour au cœur de ses pièces.

Un objet me mène à un autre, en séquence.

Tout a commencé avec une galerie montréalaise, Commissaires. Ils avaient demandé à plusieurs designers de se pencher sur l’archétype de la chaise traditionnelle québécoise en babiche.  J’ai choisi de découper la chaise pour lui donner la forme parfaite d’un prisme. J’aimais le contraste entre la texture très naturelle de la babiche et la coupe parfaitement précise de l’objet.

Ça a été le début de mon intérêt pour les objets très simples, usuels. J’ai continué à expérimenter en achetant une bague de plastique très ordinaire dans le quartier chinois. Je l’ai coulée dans un métal précieux, puis je l’ai taillée et polie. L’idée était d’insuffler de la valeur à un objet qui, au départ, n’en avait pas.

Ensuite, j’ai conçu un verre de type tumbler pour le projet Verre Commun. J’ai fait appel à un souffleur de verre exceptionnel pour créer, encore une fois, un objet très commun, mais avec un soin de fabrication si rigoureux que l’objet s’en trouve transformé. En prenant le verre dans sa main, on constate qu’il est très léger, ses parois sont très fines, et sa couleur, un vert très pâle, donne l’impression que l’objet flotte dans la pièce.

L’idée de la Mile m’est apparue alors que je concevais un espace commercial.

Pour créer le concept, j’avais dessiné par ordinateur des esquisses de la taille d’un terrain de football contenant des dizaines d’édifices liés entre eux—même si je savais bien que je n’en utiliserais qu’une infime partie pour le design de la boutique.

J’ai été stupéfait de constater qu’en réduisant l’esquisse, on continuait tout de même à sentir qu’elle faisait partie d’un plan plus vaste. On sentait que la ligne n’arrivait pas de nulle part. Cette idée m’est restée en tête et la Mile a été conçue dans le même esprit. C’était une grille immense, dont on a effacé une grande partie. Ce qui est resté est devenu la lampe.

Je suis passé de l’architecture au design parce que je voulais mettre la main à la pâte— 

réduire l’écart entre le produit et moi et pour travailler directement avec les artisans et les matériaux utilisés. Il y a quelques temps, je me suis rendu à l’usine de fabrication d’une chaise que j’ai conçue. Je n’étais pas satisfait de la forme du dossier alors je l’ai retiré de la chaise et me suis installé à la machine. Je l’ai modifié et j’ai ainsi pu résoudre le problème. J’adore cette façon de travailler, spontanée, à échelle humaine.

Avant de créer la collection Misc, je n’avais jamais utilisé de scie à chaîne. Mais j’ai découvert que j’aimais le côté rugueux de cet outil. J’ai eu envie de l’utiliser. Quand on a lancé la collection à Montréal, je sciais des parts d’un banc de seize pieds pour les vendre aux intéressés. Tout le lancement a été conçu autour de cette idée très concrète.

J’essaie toujours de créer des objets qui altèrent la perception,

qui jouent avec les sens. Prenons mon verre commun : quand on le regarde d’un certain angle, on a vraiment l’impression qu’il flotte au-dessus de la table. J’adore créer une impression d’abstraction. La Mile est pensée de la même manière—elle est asymétrique, elle ne devrait pas flotter, pourtant elle flotte. J’aime aller à contresens des attentes face à un objet, lui donner une autre place dans le monde.

Récemment, nous avons créé une chaise, en continuité avec l’idée de repenser l’objet usuel. Nous voulions nous concentrer sur ce qui nous vient en tête quand on pense à une chaise. SI je vous demande d’imaginer la chaise la plus simple, vous pensez déjà à la chaise d’école que vous aviez, ou la chaise que vous voyiez chez votre grand-mère, et vos souvenirs se mêlent les uns aux autres : voilà la chaise que nous avons voulu créer. Que nous avons créée! Nous avons peaufiné des détails tels que le diamètre des pattes—au sol, elles sont plus larges qu’au siège. On ne le voit pas, mais on le sent.

Photos : Arseni Khamzin
Texte : Rory Seydel et Alexandra Caufin